Evaluer l’intelligence : la dispersion dans les résultats au WISC IV chez les jeunes à haut potentiel

C. Gassier-Bommart – Orthopédagogue
Recherche réalisée dans le cadre d’un Master – département des Résumé : Le terme de Haut Potentiel (HP) véhicule plus aujourd’hui une image d’échec scolaire que de réussite. Pourquoi le jeune à haut potentiel, avec ses particularismes, rencontre-t-il tant de difficultés pour exprimer ses capacités ? La dimension de l’intelligence que le psychologue investit, ainsi que ses éléments de compréhension pour reconnaitre son potentiel au HP, sont susceptibles d’éclairer ce constat. L’exploration du rapport « psychologue/HP/intelligence » dans la relation au WISC IV interroge la valeur des tests de QI pour déterminer le potentiel. Or, si la norme statistique du test fait figure de référence, elle est, au demeurant, modulable.

Mots-clés : Haut Potentiel, précocité, EIP, WISC IV, intelligences, échec scolaire.

Introduction

Qui sont donc ces jeunes qui attirent l’attention par leur comportement tant sur les plans scolaire qu’extrascolaire ? Que recouvrent les différentes terminologies qui sont employées lorsqu’ils sont cités ? Le terme de surdoué, très utilisé dans la presse, véhicule l’idée du don de naissance. Cette idée de don est aussi sous-jacente dans celui de Douance (Canada, Belgique) ou celui de Gifted, utilisé par les anglo-saxons. Tous ces termes font référence à une interprétation de l’antiquité qui y voit une origine divine. Cette connotation religieuse sous-entend l’idée d’une hérédité génétique (Liratni, 2009). Cette version n’exclurait donc pas des dérives eugéniques. L’Institution française privilégie celui d’ « Enfants Intellectuellement Précoces » (Delaubier, 2002). C’est le terme aujourd’hui le plus controversé. Certes, il rejette l’idée de surdon, mais il présuppose celle de vitesse intellectuelle. Par ailleurs, il dégage une impression d’aboutissement à l’âge adulte, inscrivant le jeune dans une mauvaise compréhension de son intelligence. Aucun ne semble donc idéal ; celui de Haut Potentiel Intellectuel (HPI) est le plus communément admis sur le plan international. S’il désigne des capacités élevées en termes de Quotient Intellectuel (QI), il n’exclut pas l’idée de potentiel à développer. Aussi, ne réduit-il pas l’intelligence d’un individu au seul présent.

De plus, si tout un chacun s’accorde sur une définition de l’intelligence, décrire celle du jeune à haut potentiel est plus controversé. Il est communément admis que l’intelligence est « la capacité qu’à un organisme à s’auto-modifier pour adapter son comportement aux contraintes de l’environnement. Cette faculté de comprendre, de saisir par la pensée, inclus un ensemble de fonctions mentales ayant pour objet la connaissance conceptuelle et rationnelle » (Larousse, 2009). Le jeune à haut potentiel surprend par sa rapidité d’esprit, sa maîtrise dans des sujets souvent ardus. Il est cependant régulièrement victime de ses émotions, qu’il contrôle peu ou mal, et de sa désorganisation. Jean-Charles Terrassier insiste sur ce phénomène spécifique qu’il nomme dyssynchronie ; soit un décalage entre les niveaux de développement intellectuels, moteurs et affectifs (Terrassier, 2006). Ainsi, cette intelligence présente, dans son expression, des traits caractéristiques d’une démarche cognitive spécifique.

Les tests de Wechsler sont les plus utilisés en France pour repérer le Haut Potentiel, le WISC IV concernant la tranche d’âge des 6 – 16 ans et 11 mois. Le chiffrage du QI est le seul critère suffisamment objectif pour estimer cette population, et son utilisation sur une grande échelle en fait un critère de référence. Un jeune est donc reconnu comme « Haut Potentiel » si son Quotient Intellectuel (QI) est exceptionnellement élevé à l’issue d’une évaluation rigoureuse conduite par un psychologue.

Cependant les résultats des tests de QI ne sont pas toujours conformes aux comportements et aux capacités réelles de ces jeunes, le QI total ne pouvant pas toujours être chiffré du fait de pathologies parallèles. Quelles sont donc les causes de ces profils hétérogènes chez les Hauts Potentiels, peu mesurables et par conséquence en but à la méconnaissance générale ? Comment expliquer les performances bonnes ou mauvaises des jeunes soumis à un test d’intelligence ?  En définitive, ces tests sont-ils pleinement représentatifs du Haut Potentiel ? Dès lors, ces questions interpellent la notion de norme (du latin norma : la règle). Quelle est la norme admise qui valide le Haut Potentiel ? L’exploration de la dispersion des résultats au WISC IV interroge l’interprétation de ces derniers lors de l’anamnèse rendue par le psychologue. Lorsque la tendance sociétale est à la confusion entre réussite scolaire et réussite au test, confronter l’intelligence du haut-potentiel à la notion de norme devient une nécessité. 

Sur un plan philosophique, la norme est élaborée par une société. Cette dernière la détermine selon ses valeurs et ses croyances. Ainsi la norme peut-elle être considérée comme un ensemble de règles propres à une culture. Elle est donc susceptible de varier d’une société à une autre. Dans le cas des jeunes à haut-potentiel, une variation de la norme, en fonction des individus et de leur appartenance à un type de société, est donc envisageable. Sur un plan statistique, la norme fait référence aux chiffres, ainsi s’inscrit-elle dans le domaine du quantifiable. Dès lors, la norme se comprend en tant que seuil à atteindre ou à franchir. La notion de haut potentiel est aujourd’hui étroitement liée à cette définition puisque le chiffrage d’un score valide le potentiel.

La psychométrie associe donc à la notion de norme l’idée d’un seuil de référence, mathématiquement calculé, selon une approche rigoureuse, objective et explicite. En conséquence, l’intelligence devient mesurable et quantifiable.
L’application de l’échelle métrique de Binet se concrétisa dans le Binet-Simon. Celui-ci, comme ses dérivés (Stanford-Binet, Terman-Merrill, la Nouvelle Echelle Métrique de l’Intelligence), calcule un Quotient Intellectuel global (QI). Dans ces tests, le QI est un indice du développement mental :

âge mental
QI =  ———————–  x 100
âge chronologique

Dans ce contexte, l’âge mental est donc corrélé à un âge chronologique.

David Wechsler, psychologue américain, peu satisfait de cette évaluation de l’intelligence au niveau des adultes, proposa une nouvelle échelle : la Wechsler-Bellevue (1939)  qui deviendra La Wechsler Adult Intelligent Scale (WAIS) en 1955. En effet, des études américaines, dirigées par Terman avaient démontré que la notion d’âge mental ne pouvait pas être applicable à une population de plus de 16 ans. Le vieillissement de la population biaisant le test. Wechsler  abandonna donc la notion d’âge mental et caractérisa dès lors un individu par un rang, issu de sa performance, en fonction de son groupe d’âge. Dans cette nouvelle échelle, les items du test sont classés selon une difficulté progressive. C’est le nombre d’items réussis qui détermine ainsi un score brut. Celui-ci est alors comparé à celui de l’échantillon de référence (étalonnage du test). Wechsler utilisa alors la statistique pour obtenir un score standard. C’est-à-dire que dans chaque groupe d’âge, il normalisa la distribution des scores de référence de l’échantillon et la partagea en 19 classes (du score le plus bas au score le plus élevé). Des tables permirent de relier les scores bruts aux classes correspondantes, établissant des scores standards. Les différents scores furent alors additionnés pour calculer un QI standard global. Le QI put ainsi se décliner sur une courbe de Gausse, selon une loi normale. En outre, Wechsler pour aligner ses résultats sur le Binet-Simon transforma la distribution du score standard total afin d’obtenir une moyenne de 100 avec un écart type de 15 (Huteau et Lautrey, 2003). Les limites mesurables du QI sont 40 et 160. On distingue ainsi plusieurs niveaux de QI (Siaud-Facchin, 2008) :

  • De 85 à 115 : intelligence normale (environ 1 personne sur 2)
  • QI > à 115 : intelligence supérieure
  • A partir de 130 : haut potentiel (soit 2.1% de la population. Au-dessus de 145 = 0.1%)
  • QI < à 85 : intelligence limitée
  • QI < à 70 : débilité mentale

echelle-wisc

Figure 1 : Distribution gaussienne du QI ou courbe de normalité

Par ailleurs, Wechsler introduisit des sous échelles distinctes dans ses tests. En effet, il trouvait que la part du verbal était trop importante dans les tests existants. S’inspirant des travaux de Yerkes (1917) pour l’armée américaine, il mit au point deux nouveaux QI intermédiaires : le QI verbal et le QI performance.

L’échelle de Wechsler fut adaptée aux enfants de 6 à 16 ans et 11 mois en 1949, la Wechsler Intelligence Scale for Children (WISC) et aux plus jeunes (3 ans à 6 ans et 11 mois) en 1967, la Wechsler Preschool and Primary Intelligence (WPPSI). La dernière version du WISC (WISC IV) fut publiée en France en 2005. Les sciences neurocognitives ont influencé cette nouvelle échelle qui fait désormais apparaitre une organisation des cognitions en 4 indices : l’Indice de Compréhension Verbale (ICV), l’Indice de Raisonnement Perceptif (IRP), l’Indice de Mémoire de Travail (IMT), l’Indice de Vitesse de Traitement(IVT). Le Quotient Intellectuelle Total (QIT) est conservé.

wisc-iv

Figure 2 : Répartition des quinze sous-tests du WISC-IV selon son indice

Peu d’échelles d’intelligence sont aujourd’hui capables de rivaliser avec celles de Wechsler En effet, les tests factoriels d’intelligence, plus analytiques, évaluent d’avantage des capacités en lien étroit avec le monde scolaire (Huteau et Lautrey, 2003). Les tests de Wechsler sont actuellement les plus utilisés dans le monde pour déterminer le QI.

Le Haut Potentiel Intellectuel se situe à l’extrême droite de la courbe de normalité, en raison de ses aptitudes relativement élevées dans de multiples domaines. Le HP est donc celui dont le QI atteint et dépasse la norme de 130, soit 2.5% de la population. Cependant, ce seuil pourrait également être établi à 125, 135 ou 150 en fonction du degré d’avance que l’on souhaiterait valider en tant que référence de la précocité (Lautrey, 2007). Le seuil de 130 est donc un seuil conventionnel, fixé par la recherche à deux écarts-types au-dessus de la moyenne (QI = 100). Si c’est ce QI qui est officiel pour le système scolaire français, il n’y a cependant pas de consensus sur le plan international qui s’inscrit dans un seuil élargit de 120 à 140. Cependant, dans le cas du HP, les QI verbaux et performances dépassent généralement 125.

Dans le cadre des travaux de recherche du CNRS sur l’identification des jeunes « surdoués », Xavier Caroff (2009) rappelle que le QI est une note étalonnée. Comme cet étalonnage se fait vis-à-vis d’un échantillon d’enfants de référence non HP, il en résulte un biais certain au niveau du chiffrage et de l’interprétation des résultats pour les HP. En effet, au WISC, l’étendue des scores en QI ne permet pas de mesurer de façon certaine le niveau intellectuel d’enfants ayant des compétences extrêmes. Il s’agit de prendre en compte l’effet « plafond » engendré par l’étalonnage. En effet, la population ciblée par le test est celle des enfants « classiques ». De plus, dans la même logique, la construction interne des items vise cette même population en termes de difficultés. Ainsi les enfants les plus brillants peuvent réussir totalement un certain nombre d’items du test sans qu’il en résulte une réelle évaluation.
Dans cette perspective Jean-Charles Terrassier (2006) insiste sur la notion d’âge mental plus importante que le QI. Selon lui le quotient intellectuel n’est plus en rapport avec la réalité. Il trouve dans son étude sur les hauts potentiels, dans le cadre du WISC III, une différence de 30 points entre le QI standard et le QI classique. Il en déduit que le test de Wechsler tend à « tasser » les QI très élevés, en raison de l’existence de biais statistiques, et qu’il serait plus intéressant de s’en tenir au QI classique. Il propose de calculer un QI compensé par rapport à un niveau scolaire dans la perspective d’un saut de classe. Ainsi la cotation des réponses de l’enfant se ferait non pas selon son âge réel, mais selon l’âge moyen actuel des élèves de la classe à intégrer. La norme en tant que référence serait soit liée à un âge mental, soit à un niveau scolaire et non plus à une intelligence individuelle.

La question de la stabilité du test de QI est aussi à considérer. Selon Jeanne Siaud-Facchin (2008), le QI d’un individu devrait être constant si l’on considère que le potentiel appartient à un patrimoine génétique. Théoriquement, les tests sont construits pour s’inscrire dans le temps et indépendamment de l’environnement. Le QI présente donc une stabilité longitudinale. Cependant Siaud-Facchin constate que des facteurs peuvent venir parasiter le test, notamment l’émotivité, l’absence de motivation, la confiance en soi du jeune ou des troubles de l’attention. Dans ce cas, un nouveau test peut-être fait à posteriori pour réévaluer l’efficience intellectuelle. Dans la perspective de Siaud-Facchin, le seuil de 130 indique le Haut Potentiel. Mais le test qui le chiffre est réalisé à un moment précis, sujet à des facteurs perturbants environnementaux et intra-individuels. L’approche clinique du praticien est donc nécessaire, dans le cadre d’une passation de test, pour éviter tout biais. Liratni (2009), bien qu’il partage le même avis sur le sujet, fixe ce seuil à 125 de moyenne sur la population des HP, l’inscrivant en réalité dans un intervalle de 119-131 en raison de ces facteurs perturbants.

Pour Caroff (2009), s’appuyant sur des recherches américaines sur le sujet, l’effet de Flynn (1984) s’applique aux échelles de Wechsler comme à d’autre test. Ainsi il y a une augmentation de 1/3 de point de QI par année. Cette augmentation doit être considérée si un jeune est sujet à une nouvelle passation. Le score attendu devrait donc être supérieur au précédent, d’autant que généralement les tests ne sont réévalués que tous les dix ans. En outre, les études sur la fiabilité de la mesure montrent, dans le cas de l’intelligence des Hauts Potentiels, l’existence d’une variabilité dans les résultats, lorsqu’il y a retest. Ainsi avec un délai de variation de 1 à 2 ans, les jeunes « classiques » ont des résultats qui tendent à une corrélation forte de l’ordre de .80. Alors que, la corrélation des résultats des deux tests chute considérablement chez les Hauts Potentiels : .49 (cette corrélation mesure la part d’erreur qui modifie les classements des individus lors de la deuxième passation en fonction de la première). Les résultats peuvent, par ailleurs, varier également dans la durée : les corrélations entre deux examens successifs vont diminuer si l’intervalle de temps augmente ; le même phénomène est observable si le premier examen intervient précocement dans le développement du jeune.

La fiabilité de la norme chiffrée, en tant que seuil de référence pour qualifier un jeune de Haut Potentiel, peut donc être discutée en raison de la mobilité de ce seuil, ce qui laisse une grande marge d’interprétation au praticien sur le terrain et dans le cadre de son anamnèse ! Cependant, malgré cette mobilité du seuil de référence, est-il possible de dégager un profil type de Haut Potentiel à la lecture de leurs résultats ?

Les études en lien avec la validité du test montrent que les Hauts Potentiels présentent des caractéristiques communes dans les résultats aux échelles d’intelligence.
La structure du WISC IV s’articule autour de quatre indices. La mesure du facteur général d’intelligence (facteur g) englobe ces 4 indices et justifie le calcul d’un QI global. Or, les recherches dans ce domaine démontrent la stabilité générale de ce modèle sur une population étudiée (Caroff, 2009). Par contre, si la stabilité du modèle se maintient pour les Hauts Potentiels au niveau de l’ICV et de l’IRP, les résultats à l’IMT diffèrent de ceux généralement obtenus par les jeunes « classiques » et l’IVT n’est jamais retrouvé. Caroff (2009), s’appuyant sur la recherche aux Etats-Unis, réfute ce dernier indice et estime que les épreuves à durée impartie ne sont pas adaptées pour diagnostiquer le Haut potentiel Intellectuel. Sur ce même indice, Terrassier (2006) parle d’un phénomène de dyssynchronie entre les niveaux intellectuels et psychomoteurs. En effet, les épreuves constitutives de cet indice particulier sont fortement chutées dans les résultats aux tests. Chez certains jeunes, on observe des écarts allant jusqu’à 30 points entre l’IVT et l’ICV ou l’IRP. En outre et sur une approche plus générale, les aspects psychomoteurs et graphiques ne sont pas les plus réussis aux tests, loin de là ! En définitive, les jeunes HP ne réussissent pas tous pareillement les subtests du WISC IV.

Par extension il est nécessaire de questionner la validité non plus de la structure du test mais celle des critères choisis. En effet, bien que ce test soit reconnu comme valide pour cette population particulière, il ne l’est cependant plus sur certains échantillons spécifiques de celle-ci ? Des biais statistiques ou des facteurs émotionnels pourraient être évoqués, ils entraineraient une chute des résultats individuels. Mais cela ne tient pas en raison de la régularité de l’évènement. Dès lors, comment comprendre la normalité du Haut Potentiel ? Existe-t-il un profil type identifiable selon des critères intellectuels précis ou y aurait-il plusieurs profils possibles ?
Dans un article récent, Liratni et Pry (2007) relèvent une importante variabilité tant intraindividuelle qu’interindividuelle chez le jeune HP. Ils ont constaté une hétérogénéité fréquente des performances dans les épreuves de Wechsler. Certes, sur une population d’enfants « classiques », il y a hétérogénéité s’il est déterminé au WISC IV une différence de 15 points entre le QI verbal et le QI performance (Grégoire et Wierzbicki, 2007); soit 5% des jeunes. Mais chez le jeune HP, les écarts sont encore plus marqués. Il n’est pas rare d’observer des écarts de 21 points, avec un QI verbal supérieur au QI performance. Bien que non systématique, ce particularisme est assez fréquent et expliquerait l’aisance verbale de beaucoup de ces jeunes. Selon Pereira-Fradin (2009), la fréquence de cet écart est de 20% chez les jeunes dont le QI total est de 130 et de 25% pour un QI de 140. Par ailleurs, si l’analyse détaillée fait apparaitre une relative constante de l’importance du QI verbal, elle révèle également de grandes variations au niveau des indices perceptifs, essentiellement aux subtests faisant appel à la mémoire visuelle et à l’aptitude à traiter visuellement des stimuli abstraits. Pour Liratni et Pry (2007), cette hétérogénéité intra-individuelle est caractéristique des jeunes HP et relève plus de la norme que de l’anormalité. Elle peut cependant rendre le QI total non interprétable si la différence entre deux indices est supérieure à 23 points. Terrassier (2006) parle d’un phénomène de « dyssynchronie interne » chez l’enfant HP. Cela se traduit par des écarts conséquents entre les niveaux intellectuels, psychomoteurs et graphiques, hors dysgraphie ou dyspraxie.

Cette hétérogénéité latente chez le Haut Potentiel s’oppose donc à l’idée de multi-potentialité communément admise chez ces jeunes. En effet, beaucoup de HP ne sont pas forcément bons dans tous les domaines mais seulement dans certains. Elle questionne, par ailleurs, la part du facteur g dans le test. Ainsi, les travaux de Liratni et Pry (2007) sur un groupe de HP aboutissent-ils à une double constatation : d’une part, une quasi-absence de liaisons entre les 10 subtests du WISC IV et d’autre part, l’existence d’une forte variabilité interindividuelle. Selon les auteurs, cette dernière serait due à la loi des rendements décroissants de Spearman. Plus le QI est élevé et plus le facteur g diminue. Par conséquent, ils affirment qu’il n’y a pas un profil unique de HP qui apparaisse dans le cadre d’une analyse statistique. Dans sa thèse de doctorat, Liratni (2009) explore cette notion de profils multiples, et, en définitive, distingue 3 profils particuliers au WISC IV :
– Le haut potentiel verbal (ICV 135-140, IRP et IMP +/- 120, IVT 105-110)
– Le haut potentiel mnésique / auditivo-verbal (ICV exceptionnel >150, IMT 125-130, IRP 120-130, IVT+/-100)
– Le haut potentiel général (ICV +/-130, IRP +/- 130, IMT +/-130, IVT +/-120)
En définitive, d’une part, il n’y a aucune certitude en l’existence d’un profil unique de haut potentiel et, d’autre part, la norme qui détermine le Haut Potentiel dans sa dimension psychométrique autorise une notion de seuil qui reste relative.

La question de la dimension de l’intelligence demeure liée, dans notre société, à la réalité du chiffre ; d’où cette interrogation lorsqu’il y a interprétation des résultats à un test de QI chez un jeune HP : « Quel est le cadre investi et quels sont les éléments de compréhension utilisés par le psychologue pour identifier le HP ? ». Dans une perspective généraliste le psychologue formé reconnait avec certitude la norme quantitative de 130 comme référence pour chiffrer le haut potentiel, mais non sans réserves. Du fait d’un grand nombre de facteurs, le test, en soit, n’est pas forcément fiable pour évaluer le HP ; mathématiquement, car l’effet de Flynn est à prendre en compte, mais aussi méthodologiquement, au niveau de l’échantillon (effet plafond), de sa structure, comme des critères considérés. Le WISC IV est porteur d’éléments scolaires qui faussent l’évaluation de l’intelligence. La dispersion des résultats constatée par les psychologues ne permet pas forcément de chiffrer le QI Total, souvent gravement chuté par l’IVT. Le contexte de la passation est également un des facteurs capable de faire chuter le score si le jeune est fragilisé psychologiquement ou trop émotif. Ainsi, la fourchette de 120-130 serait la plus adaptée pour évaluer quantitativement l’intelligence du HP ; mais des situations d’échec, exceptionnelles, sont possibles. C’est pourquoi le psychologue averti sur le sujet insiste sur l’approche clinique. Dans le code de déontologie des psychologues (2012), on peut d’ailleurs lire :

« La pratique du psychologue ne se réduit pas aux méthodes et aux techniques employées. Elle est indissociable d’une appréciation critique et d’une mise en perspective théorique de ces techniques » (art.23).

La richesse humaine ne peut se réduire à une normalité de bon aloi et il en est de même de l’intelligence des Hauts Potentiels. Diagnostiquer un potentiel relèverait d’un principe de diversité ; celui-ci étant lié tant à la variabilité intra-individuelle du jeune qu’à celle entre les individus. Dans leurs différences et à cause de leurs spécificités, les HP se dissocient des enfants classiques et c’est ce qui serait leur norme ! Pour connaitre le fonctionnement du Haut Potentiel Intellectuel, les psychologues ne peuvent pas toujours compter sur l’Institution : la formation au fonctionnement de ces jeunes n’étant que rarement intégrée dans un cursus traditionnel. L’autoformation et l’expérience du cas par cas sont souvent les seuls susceptibles de leur permettre d’avancer sur ce terrain difficile socialement qu’est le HP. Le facteur humain est donc un impératif pour « naviguer à vue » dans cette exploration difficile à « normer » quantitativement.

 Caroff  X. (2009). L’identification des enfants à haut niveau intellectuel : quelles perspectives pour l’approche psychométrique. In Lautrey J. & Collectif. L’état de la recherche sur les enfants dits « surdoués ». (pp. 15-36). CNRS, Laboratoire Cognition et Développement, Fondation de France.

http://themamaternelle.free.fr/recherche_fondation_france.pdf.

Code de déontologie des psychologues (2012). Article 23.

http://www.sfpsy.org/IMG/pdf/Code2012.pdf

Delaubier J.-P. (2002).La scolarisation des élèves intellectuellement précoces.Rapport. http://media.education.gouv.fr/file/01/1/4011.pdf.

Grégoire J. & Wierzbicki C. (2007). Analyse de la dispersion des indices du WISC IV en utilisant l’écart significatif par rapport à la moyenne des quatre indices. Elsevier Masson SAS,Revue européenne de psychologie appliquée n° 57, pp. 101-106.

http://www.em-consulte.com/article/62043/analyse-de-la-dispersion-des-indices-du-wisc-iv-en.

Huteau M. & Lautrey J. (2003). Evaluer l’intelligence, psychométrie cognitive. Paris : Presses Universitaires de France.

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http://www.cahiers-pedagogiques.com/La-variation-cognitive.html

Liratni M. (2009). Enfants à haut potentiel intellectuel : Aspects cognitifs et socio-adaptatifs. Thèse de doctorat (Université de Montpellier III, sous la direction de René Pry). http://www.psychologuemontpellier.sitew.com/files/users/1/2/4/3/3/1/0/THESE_DOCTORAT_Mehdi_Liratni.pdf

Liratni M. & Pry R. (2007). Psychométrie et WISC IV : quel avenir pour l’identification des enfants à haut potentiel intellectuel ? Elsevier Masson SAS, Neuropsychiatrie de l’Enfance et de l’Adolescence, Volume 55, Issue 4, 214-219. http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2007.06.003.

Liratni M. & Pry R. (2010).Enfants à hauts potentiel intellectuel : psychopathologie, socialisation et comportements adaptatifs. Elsevier Masson SAS, Neuropsychiatrie de l’Enfance et de l’Adolescence, Volume 59, Issue 6, 327-335. http://www.psychologuemontpellier.sitew.com/fs/Root/3xeh7-NEUADO_699.

Pereira-Fradin M. (2009). La variabilité intra-individuelle chez les enfants à haut potentiel intellectuel. In Lautrey J. & Collectif. L’état de la recherche sur les enfants dits « surdoués ». (pp. 37-47). CNRS, Laboratoire Cognition et Développement, Fondation de France.

Siaud-Facchin J. (2008). L’enfant Surdoué, l’aider à grandir l’aider à réussir. Paris: Odile Jacob.

Terrassier J. -C. (2006). Les enfants surdoués ou la précocité embarrassante. Issy-les-Moulineaux : ESF Editeur.